Bambi, elle est noire mais elle est belle

Maïmouna Gueye :

" J'ai fait un rejet total des non-dits, des désirs enfouis " 

Cette Sénégalaise a écrit " Bambi, elle est noire mais elle est belle ", qu'elle interprètera a Capellia : une femme quitte l'Afrique pour vivre sa vie en France

Maïmouna Gueye jouere a Capellia, dans le cadre de la semaine africaine Bambi, elle est noire mais elle est belle, une pièce à une voix qu'elle a écrite. On y voit une femme quitter l'Afrique et vivre sa vie en France. Il y a de l'humour, de la profondeur et une vitalité aussi éclatante que la beauté de Maïmouna Gueye, qui n'a pas peur de terminer son spectacle par : " Alléluia, il bande ! ".


Cette histoire, c'est la vôtre ?

out est parti d'une phrase que j'ai entendue dans ma belle-famille quand je suis arrivée en France : " Elle est noire mais elle est belle. " Je viens du Sénégal. Quand vous débarquez d'Afrique, cet humour - qui n'en était d'ailleurs pas -, c'est quelque chose qui choque. Aujourd'hui, j'ai pris assez de distance pour en parler légèrement.

La France, c'était un rêve, pour vous ?

Oui. Dans la première pièce que j'ai écrite et jouée en 2003, Les Souvenirs de la dame en noir, j'ai parlé de cet eldorado que représente la France, pour une fille qui veut fuir l'excision et le mariage arrangé. Ce rêve est ancré en moi depuis que je suis toute petite. Peut-être que les dictées que nous donnaient les instituteurs y sont pour quelque chose. Dans ces dictées, la couleur noire était toujours associée à ce qui n'est pas beau, et le blanc à ce qui est limpide, pur.

Je ne sais pas si c'est cela qui m'a déstabilisée. En tout cas, je tenais absolument à me marier avec Alain Delon - je veux dire avec un Français - et à me barrer. Et j'ai refusé toutes les propositions de mariage faites par ma famille.

Vos parents vous ont écoutée ?

J'avais 16 ans quand ils sont morts, à un an d'intervalle. Après, il restait ma grand-mère, mes tantes et les grands frères. Malgré mon jeune âge, je leur ai fait face.

Je me suis mariée avec un Français, très vite et très jeune. Et je suis partie. Mon combat, aujourd'hui, est de faire que mes soeurs n'aient pas à subir quoi que ce soit. Qu'elles aient le choix.

Mes soeurs, c'est au sens large ?

Oui. C'est comme quand je dis mes mères. Je pense à ma tante qui est restée en Afrique, et qui depuis quinze ans n'a plus revu son mari, parti en Espagne. Quand des émigrés rentrent, ils lui disent que son mari a épousé une Espagnole. Ma tante est aigrie. Ecrasée par le poids de la tradition, elle ne divorce pas. Et elle a enterré sa vie de femme. Enfant, j'avais les yeux grand ouverts sur tout cela. Je me sentais étrangère, déjà, dans mon propre pays. J'étais celle qui dit non, la dévergondée qui veut faire du théâtre. Je rêvais de paroles, je voulais vomir le trop-plein de choses qui bouillonnaient en moi.

Avez-vous fait du théâtre au Sénégal ?

Oui, avec Gérard Chenet, un auteur haïtien exilé au Sénégal depuis trente ans, j'ai joué Antigone pendant deux ans. Quand je suis arrivée en France, il y a sept ans, je me suis retrouvée à Avignon, où mon ex-mari avait été muté. Je me suis dit que cela tombait bien : la ville du théâtre. Je suis entrée au Conservatoire. Je voulais apprendre parce que je ne connaissais presque rien.

Pour moi, c'est ça l'intégration : prendre des décisions pour se sentir bien. Ce n'est pas cette phrase qu'on te dit quand tu arrives : " Intègre-toi. " Le mot " intégration " me fait sursauter. J'ai l'impression qu'il a une connotation noire, colorée en tout cas.

Qu'on le veuille ou non, ce mot s'adresse aux étrangers, même si on peut l'employer pour un Français de souche. " Intègre-toi ", cela veut dire : " Ressemble à tout le monde. " Et on n'a pas à ressembler à tout le monde.

Dans votre spectacle, vous dites que " la connerie n'a pas de couleur ".

Oui. En arrivant en France, j'ai très vite compris que tous les hommes n'avaient pas les yeux bleus. Mais il y a d'autres côtés très beaux, comme la liberté. Ça, je ne le dirai jamais assez.

Vous parlez de sexe d'une manière directe, ce qui n'est pas dans la tradition française.

Quand je rentre dans ma famille, en Afrique, on me dit : " Pourquoi tu ne fais pas d'enfant ? C'est la chose de ton mari qui ne marche pas ? " Non. Je ferai un enfant quand j'en aurai envie. Je veux décider de ma sexualité et parler du désir, parce que c'est de là que naît tout.

J'ai fait un rejet total de tous les non-dits. Du coup je vais vers l'interdit, même inconsciemment. Je parle de sexe comme je parlerais de l'eau qui coule. Je dis non aux désirs enfouis, oubliés, aux corps morts. Et, effectivement, je dis dans le spectacle : " Il bande ", parce que c'est comme ça : l'homme bande, et c'est ce que la femme attendait.

propos recueillis par Brigitte Salino


Capellia vendredi 12 octobre 20h30
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